Entre blogue et revue savante : hybridation des pratiques de recherche

Aujourd'hui, 20 novembre 2014, on recommence nos rencontres dans le cadre du séminaire "Écritures numériques et éditorialisation" (je rappelle que les enregistrements des séances des années passées sont disponibles en ligne ici). Cette année, le séminaire sera dédié en particulier à la question de la recherche: comment l'éditorialisation produit de nouvelles formes de recherche, de nouveaux modes de pensée de dispositifs inédit de partage et de circulation de la connaissance.

Nous commençons notre réflexion avec la question des blogues. Voici l'argumentaire de la séance:

En démultipliant les formes de lecture et d’écriture dans la société non-savante, le numérique a favorisé l’émergence de pratiques nouvelles où se mêlent communication, collection, archivage, littérature, etc. Dans ce contexte de fluidification des formes d’écriture, les pratiques des chercheurs se sont elles aussi diversifiées, empruntant souvent à des formes de production de contenus jusqu’alors inexistantes dans les méthodologies de la recherche.
Cette hybridation des pratiques que l’on observe depuis peu semble ouvrir la recherche et la communauté de chercheurs à de nouvelles formes de production de savoir, bouleversant le processus classique de légitimation et de certification des connaissances.

Les invités :

Celya Gruson-Daniel (association HackYourPhD)

Benoît Melançon (Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal)

Joëlle Le Marec (CERILAC )

Je publie ici, comme d'habitude, les notes prises pendant la séance.

Celya Gruson-Daniel :

Comment les réseau sociaux changent les façons de faire recherche mais aussi les frontières entre recherche et société.  Les revues savantes sont la principale façon de communiquer pour les chercheurs et c'est ainsi qu'ils sont évalués (à des fins de carrière). Les publications scientifiques en ligne adoptent un format qui copie le papier et souvent non en open source. On a donc du mal à expérimenter. Les blogues fluidifient les échanges et aussi les temps de la recherche.

Blogues scientifiques:

Café des sciences

On y trouve des blogues, en particulier tenus par des doctorants, où on mélange recherche mais aussi des dessins sur la vie des doctorants.

Hypothèses

Carnets de recherche qui permettent des commentaires et des échanges. Il s'agit d'une fluidification des échanges et de la recherche.

 

Aux États Unis, Celya a fait un voyage sur les lieux de la science ouverte. Elle a pris des photos et en a fait des storify. De cette manière elle a fait vivre en direct ce voyage (qui était financé en crowdsourcing !)

Celya parle des différents niveaux de discussion et de conversation qu'il y a sur twitter.

Open science, science ouverte: abaisser les barrières pour avoir un accès plus facile à la science et à la connaissance.

Celya cite une diapositive avec un singe qui dit "Tout évolue, même la publication scientifique".

Dans la science ouverte on est dans un processus transparent (publication du parcours, publication des résultats négatifs...).

Dans le domaine des sciences informatiques, on commence à observer la pratique de donner accès au code.

Du coup la légitimation se fait à travers la pratique et la collaboration [oui mais quid de l'évaluation à des fins de carrière???]

Benoît Melançon (diapositives disponibles ici)

Il présente son blogue de recherche L'Oreille tendue. Afin de décrire sa pratique et comprendre les retombées du blogue sur la recherche. Histoire de la création du blogue qui naît en 2009 - même si Benoît s'occupait de numérique depuis longtemps.

Il dirige un mémoire en 2009 et il comprend quelque chose sur la nature du blogue:

1. il faut une approche (pour l'Oreille des questions de langue)

2. la périodicité (quotidien pour l'Oreille)

Le blogue est publicisé sur twitter, mais il y a eu des pics : un pic Dion (Jean Dion a parlé d'un des billets du blogue sur la presse). Un autre pic est dû à un autre journaliste qui a parlé d'un article sur son twitter.

Les relais sont nécessaires pour que les billets soient vus.

Trois exemples

1 Sport et culture : Maurice Richard. Sur son blogue Benoît continue la recherche faite et publiée sur son livre sur Maurice Richard. Des sujets abordés dans le livre sont repris sur le blogue, mis à jour. Parfois des nouvelles perspectives sont abordées - donc on continue la recherche. Donc : circulation et fluidification : Ça commence par un livre, ça se retrouve sur le blogue, ça devient un colloque, puis ça revient sur le blogue et à la fin ça redevient un livre

2. XVIII siècle. 1996 publication du livre sur la correspondance de Diderot. En 2011 quelqu'un parle d'une lettre inédite de Diderot. La lettre n'est pas inédite et Benoît fait un post de blogue pour le dire. L'auteur qui avait publié la lettre réagit encore et donne ses arguments. Une revue scientifique demande à Benoît d'écrire un article sur la fausse lettre inédite. Ces aller-retours montrent la facilité de la circulation - et non pas le fait que sur internet on peut mettre n'importe quoi. Le réseau permet l'erreur et sa correction.

3. L'école de la Tchen'ssâ: un billet ironique est pris au sérieux et la notion d'école de la Tschen'ssâ devient une notion courante, médiatique mais aussi critique. Multiplication des dispositifs médiatiques... blogues, revues, journaux.

Conclusion:

1. Porosité des pratiques : les textes circulent d'un endroit à l'autre

2. Changer notre façon de concevoir les résultats de la recherche (la publication est un processus et non la production d'un produit final et clos): importance du parcours.

3. Accélération du rythme des commentaires

4. Changement de la façon d'écrire : le public n'est pas le même, question de l'énonciation, vocabulaire etc.

5. Autorité : il y a un dispositif mixte d'autorité - le fait que Benoît soit un universitaire donne de l'autorité à son blogue (l'exemple de la Tchen'ssa)

Joëlle Le Marec

Penser la pratique dans le bruit des résultats: dans la même semaine on a des pratiques de recherche et les résultats. Donc le bruit des résultats conditionne la recherche elle même. Le chercheur devient lui-même objet de recherche - ou du moins il devient visible. Joëlle nous parle de http://www.archivescontemporaines.com/

"Les éditions des archives contemporaines" était un programme pour cerner les frontières des études des sciences et de la critique sur les études. De plus en plus, «intense réflexivité» du travail de chercheur, sa «condition créole». Les éditions des archives contemporaines publient très rapidement, souvent des ouvrages collectifs et essayent de favoriser un type de publication plus fluide. Les outils n'étaient pas vraiment au centre de l'interrogation de Joëlle, mais ils sont devenus fondamentaux pour pouvoir questionner le rôle du chercheur et lui redonner un pouvoir normatif - contre la normativité des pratiques de recherche.

Trouble de pratiques de recherche et pratiques sociales

1. sémiotique des transformations matérielles des modalités d'inscriptions

2. interdépendance entre production culturelle de l'enquête et anthropologie

3. La condition réflexive des études des sciences de la communication : interchangeabilité des objets de méthodes et du contexte.

Debat. 

Gérard Wormser : un mixte entre pratiques de recherche et marketing ? Le marketing de la recherche se met sur le même plan du travail de laboratoire. Comme dans le cas de l'art il y a une sorte de rapport demande/offre (les artistes répondent à une commande ou à une attente sociale).

Benoît : ça dépend beaucoup de la discipline. La question des blogues est différente de discipline en discipline.

Joëlle: il y a des gros efforts de communication

Éric: la circulation des savoirs n'est pas de la transparence. La transparence est un piège. Le fait que ça circule plus vite ne signifie pas que ça soit transparent. C'est donc plutôt une question d'accessibilité : qui a accès à quoi. Ces phénomènes d'hypermédiatisation permettent des espaces de réflexivité. C'est l'opacité qui est intéressante. Plus ça communique et plus il y a du contrôle. Il faut analyser les questions de pouvoir (savoir et pouvoir).

Benoît: la création des communautés produit des espaces moins normés. Il y a des formes nouvelles de communauté se forment.

La question du pouvoir s'impose.

Nicolas: il faut analyser de quelle manière les dispositifs de légitimation et de création des communautés sont immanentes au code.

 

Les diapositives de Benoît Melançon sont disponibles ici.

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