Élargissement des communautés scientifiques

autorité, communautés scientifiques, Ecritures numériques et éditorialisation, Grégoire Loïs, Serge Proulx, vérité

Séance du séminaire "Écritures numériques et éditorialisation" du 12/03/2015 sur l'Élargissement des communautés scientifiques.

Voici l'argumentaire:

La communauté de pairs reste un pilier de la recherche, notamment pour l’évaluation des publications. On observe pourtant un élargissement tous azimuts de ces communautés de pairs, consécutivement à de nouvelles pratiques de publications plus ouvertes de la part des chercheurs, et dont l’éditorialisation incorpore des modes de partage et de discussion issus de milieux non-savants. Ces dispositifs d’éditorialisation redéfinissent les conditions de la parité en ouvrant la controverse scientifique à des communautés plus larges, encourageant ainsi leur accès au public et favorisant une plus grande transparence sur les enjeux de recherche. La collaboration du public à ces controverses ou lors des initiatives d’Open Science à des micro-tâches de recherche participe pleinement à l’activité scientifique.
On peut se demander dans quelle mesure ces communautés concurrencent ou remettent en cause l’institution et les communautés de pairs établies, et si cette nouvelle diversité se révélera une richesse et une avancée pour les sciences, redonnant par exemple un ancrage politique et éthique aux chercheurs.

Intervenants:

Grégoire LoïsSerge Proulx

Voici les notes :

Grégoire Loïs - Vigie Nature

Sciences participatives au sein du dispositif Vigie Nature

Ancrage historique. Le projet Vigie Nature a débuté en 1989. Son rôle initial : s'appuyer sur des réseaux de citoyens bénévoles et baguer les oiseaux de façon à mieux les étudier et les comptabiliser. Compétence en ornithologie nécéssaires, mais un protocole statistique permet de compléter le savoir naturaliste.

Premiers résultats diffusés par la presse, qui va publiciser Vigie Nature. En 2013, près de 18 programmes participatifs, que l'on peut diviser en espèces, mais aussi en catégories de "participants" : des programmes nécessitant des pré-requis scientifiques (par ex. : reconnaître les oiseaux en fonction de leur chant); des programmes grand-public sans pré-requis nécessaires; des programmes pour les professionnels (responsables d'espaces verts, etc.).

Cercle vertueux de ces programmes participatifs. Protocoles réalisés par les scientifiques, relayés par des structures bénévoles plus locales, tandis que les participants font remonter des données aux scientifiques qui produisent des résultats en analysant ces données.

Importance du rôle des animateurs, qui se chargent de "traduire" et mettre à portée les publications (dans des revues scientifiques réservées aux bibliothèques, payantes, etc.) et le public / les bénévoles qui récoltent les données.

On observe un changement dans les pratiques des participants, changement des pratiques individuelles qui deviennent plus respectueuses.

Faiblesses : ces programmes sont nés de façon parfois opportuniste, et chaotique.

Valeurs partagées au sein du dispositif : le champ participatif est très large. Objectif principal de Vigie Nature = objectif scientifique. Pas d'inventaire, mais du suivi (découle des compte-rendus des naturalistes). Appui des collectivités.

Rôle social : augmentation des savoirs partagés, développement du lien citoyen/nature, reconnexion à la nature. Mais l'objectif scientifique reste toujours premier.

Perspective future :

- étendre l'aspect participatif tout au long du processus scientifique. Aujourd'hui les citoyens sont cantonnés à la collecte de donnée (besoin d'un effet de masse). Ambition : trouver un modèle pour que les participants soient impliqués aussi dans l'analyse des données, l'émergence des hypothèses, etc.

Projet pilote pour le traitement de l'information par les pairs, perméabilité entre le domaine citoyen et celui réservé aux scientifiques : Observatoire sur les insectes pollénisateurs ("service" de la nature aujourd'hui mis en péril). Projet Spipoll

Constat initial : aujourd'hui, il existe peu de spécialistes pour beaucoup d'espèces à répertorier (besoin d'établir des statistiques à grande échelle).

Idée = faire un safari photo de 20 minutes autour d'une même plante. Photo numérique facilite la macro-photographie (démocratisation de la technique photo).

création d'un outil pour reconnaître l'espèce.

Dépôt de ces collections de photos, possibilité de partager les collections et laisser des commentaires sur les collections / une photo précise des autres participants. Émulation entre les participants.

Création d'un dispositif pour critiquer l'identification, si un participant n'est pas d'accord avec l'espèce indiquée sous une photo.

Étude des usagers : pas d'entomologistes, ni de photographes amateurs à l'origine. Juste des gens de tous horizons qui ont du temps libre, et qui sont "naturophiles". Mais acquisition de savoir au fur et à mesure du développement du projet et de la participation au au projet. Connaissance acquise par la participation.

Au fur et à mesure de la participation, se met en place une validation par les pairs. Vs validation par les "sachants" ?

Pour l'instant, le Spipoll est limité en termes de moyens de communication.

Finalement, ce modèle permet la mise en application de la participation du "citoyen", car conjugue à la fois du travail de terrain, du développement photo, de la base de donnée, et des commentaires / validations sur la base de donnée. Donc, de plus en plus, le rôle des participants ressemble à une véritable expertise.

Serge Proulx (UQAM) : perspective sociologique

Sciences participatives : construction d'un" commun" de la connaissance en botanique.

Co-construction de savoirs, communautés épistémiques. La notion de communauté épistémique a deux éléments de définitions majeurs : (1) il s'agit de communautés produisant de la connaissance scientifique (2) interface science/pouvoir : la connaissance n'est pas produite pour elle-même seulement, mais aussi pour être injectée dans les débats publics. Interface avec le politique.

Possibilité d'un changement de nature du savoir à partir de ces communautés ? Ces communuatés ne sont pas formées que d'experts. Ajout d'"observateurs bénévoles", d'amateurs, et de militants. Enjeu socio-politique = reconnaissance de ces non-experts.

Autre élément problématique : le mouvement des "communs" (= le fait qu'une communauté se donne des règles de partage d'une ressource). Le commun est à la fois la ressource et les règles d'attribution de cette ressource.

Communs informationnels / communs de la connaissance.

Les pratiques de Sciences participatives sont fondamentales dans la production de communs à l'ère numérique.

Comment se réarticulent les relations entre amateurs et experts sur Tela Botanica (TB) ? La notion d'"amateur", la catégorie "amateur" n'est pas utilisée par les usagers eux-mêmes, qui préfèrent se qualifier de "bénévole".

Sciences participatives = les scientifiques ne peuvent plus appréhender seuls les phénomènes, les faits, etc. L'appel au citoyen répond à un besoin d'observation de territoires/phénomènes très vastes.

Figure du citoyen-scientifique. Notion de "science-citoyenne" (mais on pourra préférer celle de "science participative").

Organisation en réseau : question de la relation entre observateur bénévole et expert.

"Savoir associatif" vs savoir produit dans les labos scientifiques et industriels. Possibilité de cerner des phénomènes qui échappent aux labos.

Conséquence de la diffusion des savoirs associatifs :

- décloisonnement savoir populaire/savant ?

- contre-pouvoir ? empowerment de ces communautés épistémiques agissantes.

- création de nouveaux partenariats entre secteur public, associatif, secteurs marchand, etc.

Quelle est la valeur d'usage de ces nouveaux savoirs associatifs ? Par opposition à une valeur marchande ?

Cas particulier : tela botanica, association/réseau/groupe installé à Montpellier. Réalisation d'une ethnographie de ce groupe, qui s'est donné la double mission de rassembler les botanistes francophones, revitaliser la communauté des botanistes. L'idée de départ est de créer un réseau collaboratif grâce à internet.

Professionnalisation : pour Tela Botanica, on décompte plusieurs salariés travaillant pour ce site.

Deux stratégies de validation des données :

- validation de dernière instance par les experts eux-mêmes.

- dans le cas de Tela Botanica, logique numérique = on publie tôt, quitte à faire des erreurs et corriger par la suite en fonction des retour. La validation se fait donc en demandant au public de vérifier par observations de terrain et de photos.

Actuellement, le dispositif de validation fait confiance aux observateurs bénévoles, tout en gardant conscience des limites en termes de compétence. Tela Botanica "accepte le risque de l'erreur", au profit de la constitution d'une somme de données. Peut se comparer à Wikipédia.

3 types de savoir mis en évidence sur Tela Botanica :

- savoir scientifique

- savoir de terrain

- savoir informatique : 12 employés salariés à temps plein.

Conclusions : l'ethnographie de Tela Botanica permet de constater une revalorisation de la pratique botanique et des savoir botaniques, une "discipline" qui s'est toujours construite à partir d'une forme de sociabilité. Le dispositif numérique permet d'asseoir davantage la notion de science participative. Co-habitation entre le milieu scientifique et le milieu amateur = stabilisation de l'expertise, où chacun a trouvé sa place, au service d'une intelligence collective.

 

Question Marcello : les frontières entre les experts/non experts semblent devenir plus floues, quelles sont les conséquences sur le savoir lui-même ? Changement sur le statut épistémologique sur le concept même de "vérité" ?

Serge Proulx : la distinction savoir savant/profane reprend la question de savoir si l'on assiste à l'émergence d'une "expertise profane", ou si on est juste devant une réarticulation des registres de savoir. Dans les travaux réalisés par l'équipe, c'est cette piste de la réarticulation qui a été retenue en fin de compte. La question de la vérité = question du "grand nombre". Retour à la foule. pensée latérale (notion psy).

Grégoire Loïs : distinction savoir savant(académiques)/profanes : les évolutions numériques ont conduit à réduire l'écart entre ces savoirs. Mais on ne peut pas généraliser : en écologie, la distance au contraire est plus grande, notamment en raison d'un besoin technique sans doute plus complexe et spécifiques (logiciels très spécialisés). Question de la vérité : à articuler avec la problématique politique ou militante.

Nicolas Sauret : communauté ou foule ? La communauté partage des valeurs/ressources, etc. La foule est plus vague, désorganisée.

Vicent : Régimes de vérité : remise en cause par le traitement statistique des données. Fin de la théorie, fin de la science ? "Science contributive" plutôt que "participative", car apport de savoirs. Dimension herméneutique  : discussion de l'interprétation et de la catégorisation, qui permet d'éviter de tomber dans un web purement sémantique. => Web herméneutique qui vient réintégrer du social.

Marcello : séparation sémantique/herméneutique ? Les communautés ont un rôle à jouer dans la structuration des données, dans le classement du savoir.

Quel est le rôle des plateformes dans la constitution de ces savoirs ?

Serge Proulx. Participer : prendre part/contribuer/bénéficier. La notion de contribution serait alors un sous-ensemble de la participation. Tension entre contribution marchande et don.

Problème de la reconnaissance de la contribution, notamment par les "petits contributeur", travail invisible, non payé, peu reconnu.

Gérard : Il faut payer tous les contributeurs du web !!!

Modèle économique de TB ? Serge Proulx : TB utilise un modèle éco qui se retrouve dans le milieu associatif en France assez couramment. Financement par une fondation qui a payé TB pour numériser des planches botaniques, un surplus a été utilisé pour les activités associatives. Donc des activités "conventionnelles" ont servi le financement d'activités associatives.

Grégoire : nécessité de trouver un modèle économique. Vigie Nature existe au sein du labo grâce aux financements officiels de recherche. Reconnaissance tardive, en 2010, par un financement spécifique s'adressant directement aux activités de Vigie Nature (animation pour la mesure de la biodiversité).

Nicolas : importance du protocole.

 

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