Chercheurs, votre travail est payé avec des fonds publics ! - 2e catilinaire

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Suite à mon billet contre les éditeurs, plusieurs amis m'ont fait remarquer qu'une autre catégorie portait sa responsabilité dans la prise en otage du savoir : nous, les chercheurs.

En effet, le modèle pervers des maisons d'édition - cautionné et revendiqué par une partie de leurs dirigeants dans cette tribune tout à la fois délirante et drôle - est soutenu par les pratiques des chercheurs et par leur - notre - indifférence quant à la circulation de leurs - nos - productions intellectuelles.

Mais avant d'attaquer mes collègues, je reviens un instant sur les déclarations des amis éditeurs dans leur tribune publiée sur Le Monde. Ceux-ci proclament que les éditeurs font un grand travail de sélection, de mise en forme et de diffusion...

La sélection, du côté des éditeurs, est faite selon des critères commerciaux : ils choisissent le plus vendeur. La sélection scientifique est réalisée par les chercheurs eux-mêmes - avec le peer review. Par ailleurs, les directeurs de collection - qui font les choix de publication - sont très souvent des universitaires non rémunérés.

La mise en forme ? Plusieurs des signataires de la tribune dirigent des maisons d'édition qui ne payent même pas un relecteur pour corriger les manuscrits - je le sais par expérience. Ce qu'ils nous font payer, c'est uniquement une impression, très souvent de mauvaise qualité - désormais peu de personnes distinguent une impression offset d'une impression numérique et je constate que la plupart des livres publiés par ces "grands" éditeurs sont imprimés en numérique.

Mais, chers collègues, la responsabilité est aussi la nôtre. Pour plusieurs raisons :

1. Des raisons de carrière. Avouons-le, ce qui nous intéresse est de faire carrière et d'être mieux payé. Et nous publions pour pouvoir ajouter une ligne sur notre CV. Donc pourquoi se soucier de la diffusion et de l'accessibilité ? Nous préférons obtenir un bon tampon d'un grand éditeur afin de satisfaire le comité de promotion, qui risque au contraire de ne pas (ou mal) considérer une publication numérique hors des circuits classiques.

2. Nous aimons "le papier". Cette attitude snob n'a pas lieu d'être. J'aime beaucoup la mer, mais je ne demande pas qu'on me paye avec les fonds publics mon séjour sur une plage grecque. Le papier est un luxe : si nous l'aimons, nous n'avons qu'à l'acheter - en finançant ainsi les éditeurs qui pourront continuer à en publier. Les fonds publics payent la production et la diffusion des contenus, non le plaisir de toucher les pages d'un ouvrage. D'autant que la plupart d'entre nous ignore tout du processus de production d'un livre et ne fait aucune différence entre un beau livre (imprimé en offset par exemple) et un objet médiocre (certaines impressions numériques dont les pages se décollent immédiatement).

3. Nous manquons de temps. Il s'agit là d'un argument fréquent lorsqu'on demande aux collègues de faire l'effort de mettre leurs textes à disposition dans une archive institutionnelle - ce que la plupart des éditeurs permettent ! Vous n'avez pas le temps ? Vous êtes pourtant payés pour ça ! Que penser d'un médecin qui, après vous avoir diagnostiqué, vous annoncerait qu'il n'a pas le temps de rédiger votre ordonnance ?

Quelles solutions proposer ?

Je suggère aux amis qui croient à la nécessité morale de l'open access d'arrêter de citer les textes qui ne sont pas en accès libre. Et je propose aux institutions d'arrêter de comptabiliser les textes non libres pour des fins de carrière. Je ne vois pas pourquoi l'institution devrait prendre en compte un travail qu'elle a déjà payé deux fois et qui ne lui a pas été livré.

 

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