Ce qui pourrait être autrement: sécurité

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Je ne crois pas que ce soit le contrôle qui garantit la sécurité. Je ne me sens pas en sécurité dans un lieu peuplé de caméras et de police. Je me sens en sécurité dans un lieu peuplé de gens qui ont une éducation. Je me sens en sécurité parce que je fais confiance à celles et ceux qui m’entourent, parce que je sais que je peux avoir une discussion avec elles et eux.

Je me sens en sécurité quand je sais que les personnes autour de moi n’ont aucune raison de m’agresser car elles sont dans des situations vivables: elles ont à manger, en endroit où dormir, il n’y a pas une trop grande différence entre leurs conditions de vie et les miennes.

Je ne me sens pas en sécurité quand l’injustice est tellement évidente que l’agression devient un droit et même un devoir. Et, dans ce cas, je ne me sens pas non plus en sécurité en payant quelqu’un pour me protéger, mais plutôt en faisant en sorte que l’injustice soit réparée.

La sécurité ne peut pas être une valeur, c’est une condition dérivée. On ne doit pas essayer de réprimer les symptômes, mais de soigner la maladie.

Le contrôle ne fait qu’augmenter la violence.

Ainsi, je ne crois pas que pour faire face à une pandémie il faille multiplier les contrôles sur les gens, mais plutôt mettre en place les conditions pour que ces gens n’aient rien à gagner à ne pas respecter les règles. Les contrôles démultipliés servent juste à faire croire qu’il y a des personnes malfaisantes sur qui on peut faire retomber la “faute”. C’est l’idée d’untore, les “semeurs de peste” de l’imaginaire du XVIe et XVIIe siècle… Ces méchants qui vont volontairement semer la peste pour… on ne sait quelle raison. Et c’est moi le conspirationniste? Selon moi, sont conspirationnistes nos gouvernant.e.s qui essayent de nous faire croire que les untori sont celles et ceux qui ne respectent pas les règles - les jeunes par exemple, ces maudits jeunes irresponsables et indisciplinés qui font des partys, ou bien ces fêtards qui vont faire un plongeon à Cuba. Pour cette raison, il est nécessaire d’investir en police, pour les contrôler et les empêcher dans leurs actions maléfiques.

À propos d’untori - désolé si je divague -, je repensais à la Storia della colonna infame - allez savoir pourquoi mes lectures manzoniennes refont surface. Dans cet essai, Manzoni raconte l’histoire d’un procès qui eut lieu à Milan pendant la peste de 1630: un procès contre deux pauvres types accusés d’être des untori, des semeurs de peste. Guglielmo Piazza et Gian Giacomo Mora furent torturés jusqu’aux aveux puis tués. Après avoir détruit la maison de l’un des deux, les juges firent ériger un monument - la colonne infâme - pour que l’on garde cette affaire en mémoire. L’infamie de la colonne est évidemment celles de juges et non celle des condamnés.

Quelques détails intéressants: le supplice des deux accusés fut atroce. D’abord traînés dans les rues de Milan et torturés, puis soumis au supplice de la roue pendant des heures - leur cassant tous leurs os, mais les laissant en vie - pour finalement être égorgés, brûlés et jetés dans un canal. Cela donnait évidemment la possibilité de purger la rage populaire - on ne pouvait pas régler ça en deux minutes avec une pendaison.

Pourquoi le juges s’obstinèrent-ils à condamner deux personnes dont ils connaissaient l’innocence? Pour trouver des boucs émissaires, pour permettre à la colère du peuple - causée par la tragédie de la peste - de se déverser contre quelqu’un et non contre le pouvoir.

Manzoni dit:

la rabbia resa spietata da una lunga paura, e diventata odio e puntiglio contro gli sventurati che cercavan di sfuggirle di mano; o il timor di mancare a un’aspettativa generale, altrettanto sicura quanto avventata, di parer meno abili se scoprivano degl’innocenti, di voltar contro di sè le grida della moltitudine, col non ascoltarle.

la fureur qu’une longue peur avait rendue impitoyable, muée en haine obstinée contre les pauvres bougres qui tentaient de lui échapper ; ou si ce fut la peur de décevoir une expectative générale, aussi solide qu’inconsidérée, la peur de sembler moins habiles s’ils découvraient des innocents, de retourner contre eux-mêmes les clameurs de la multitude s’ils négligeaient de leur prêter oreille.

L’histoire est toujours la même: un pouvoir qui ne peut se remettre en question - en particulier en période de crise, toujours inepte et stupide, lâche et couard, et incapable d’assumer ses responsabilités, cherche des boucs émissaires pour détourner la fureur du peuple. Pour le moment, tout du moins au Canada, la torture n’est pas à la mode. On se limite à agresser les gens dans les médias, sur les réseaux sociaux ou dans la rue, de manière parfois violente certes, mais, somme toute, inoffensive. Au moins ça.

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