Ce qui pourrait être autrement: pas de censure
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Quand j’étais étudiant, une amie passait un examen de droit à l’oral - en Italie il n’y a que des oraux. Elle parlait des limites de la liberté d’expression et la prof, pour la piéger, lui demande: “et qui exerce ce contrôle?”. Elle répond: “le ministère de la censure!”. La prof s’insurge, crie et lui dit “On n’est pas à l’époque fasciste, mademoiselle! Sortez!” Et ma copine dut évidemment repasser son examen à la session suivante.
On n’est pas à l’époque fasciste, en effet, et il n’y a pas de ministère de la censure, ni en Italie, ni en France, ni au Canada. Mais notre époque exerce des formes de censure de plus en plus violentes et insupportables.
“Nous sommes en guerre” nous disent nos politicien.ne.s. Et en guerre, il est nécessaire d’être tou.te.s d’accord, pas de place pour le débat, pas de place pour le dissensus. Il faut faire bloc. Les médias se pressent pour soutenir le consensus et ceux qui expriment un désaccord sont vite rassemblés et accusés d’irrationalité, de conspirationnisme. On met rapidement dans le même panier toutes sortes de dissensus: les terreplatistes, les pizzagates, les no-mask, les no-vax, celles et ceux qui expriment des doutes sur le confinement, celles et ceux qui soutiennent que l’éducation est importante - quand même, celles et ceux qui disent que les données sur la “pandémie” peuvent être interprétées de plusieurs manières, celles et ceux qui mettent le mot “pandémie” entre guillemets… En gros, tou.te.s celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec une pensée mainstream qui doit faire consensus.
Cette tendance n’est pas nouvelle: la pandémie n’est la cause de rien, elle est peut-être l’excuse pour révéler des tendances qui de développent depuis des décennies. Le lissage de la pensée s’effectue avec la censure basée sur le fait que la pensée et la parole ne devraient pas choquer - il est des mots qu’on ne peut pas dire, des choses qu’on ne doit pas penser! Il faut être correct.e, faire attention à ne pas heurter les sensibilités. Même à l’université (hahaha!) qui devrait justement être un endroit de pensée critique…
Une anecdote intéressante: jusqu’à il y a peu, les traducteur.rice.s de l’Anthologie Palatine étaient géné.e.s de traduire les épigrammes un peu trop pornographiques. Elles et ils les traduisaient donc en latin. Parfois une épigramme entière est donc traduite en latin, parfois il ne s’agit que d’un vers au milieu d’une épigramme traduite en anglais ou en français. L’idée est claire: seul.e.s les érudit.e.s auront accès à ce texte, elles.eux qui savent comprendre avec esprit critique. Les autres seront laissé.e.s dans leur ignorance.
Est-ce ça la solution? Énoncer en latin les propos qui peuvent déranger la pensée mainstream? C’est peut-être ce que veut notre société: une démocratie fictive où l’émancipation est un leurre et où l’on ne veut surtout pas éduquer des citoyen.ne.s afin qu’elles et ils ne deviennent pas trop dangereux.ses. Exprimez ce qui fait consensus en français. Et la vérité en latin.
Pour conclure, une note “porno” en latin: l’épigramme 5.55 de Dioscoride.
Voici l’original en grec:
Δωρίδα τὴν ῥοδόπυγον ὑπὲρ λεχέων διατείνας ἅψεσιν ἐν χλοερῖς ἀθάνατος γέγονα.
ἡ γὰρ ὑπερφυέεσσι μέσον διαβᾶσά με ποσσίν, ἤνυσεν ἀκλινέως τὸν Κύπριδος δόλιχον;
ὄμμασι νωθρὰ βλέπουσα: τὰ δ᾽ ἠύτε πνεύματι φύλλα, ἀμφισαλευομένης, ἔτρεμε πορφύρεα, μέχρις ἀπεσπείσθη λευκὸν μένος ἀμφοτέροισιν, καὶ Δωρὶς παρέτοις ἐξεχύθη μέλεσι.
Et voici la traduction en anglais par Paton:
Doride roseis natibus puella super grabatulum distenta in floribus roscidis immortalis factus sum. Ipsa enim mirabilibus pedibus medium me amplexa, rectamque se tenens, absolvit longum cursum Veneris, oculis languidum tuens ; hi autem velut vento folia tremebant purpurei, dum circumagitabatur, donee effusum est album robur ambobus et Doris solutis jacuit membris.
Vous voulez une version française? Je ne vous la donnerai pas ici, dieu m’en garde. Mais là…