Ce qui pourrait être autrement: conspirationnisme

conspirationnisme, rationalité, théorie du complot

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Théorie du complot (de même que les néologismes complotisme et conspirationnisme) est une expression d’origine anglaise, définie pour la première fois en 1945 par Karl Popper, qui dénonce comme abusive une hypothèse (en anglais theory) selon laquelle un événement politique a été causé par l’action concertée et secrète d’un groupe de personnes qui avaient intérêt à ce qu’il se produise, plutôt que par le déterminisme historique ou le hasard. Pour Peter Knight, de l’université de Manchester, cette théorie met en scène « un petit groupe de gens puissants [qui] se coordonne en secret pour planifier et entreprendre une action illégale et néfaste affectant le cours des événements », afin d’obtenir ou de conserver une forme de pouvoir (politique, économique ou religieux).

La théorie du complot attribue une cause unique à des faits avérés. Elle se différencie en cela de la démarche historique, qui induit une multi-causalité.

Wikipédia

Les conspirationnistes ont toujours suscité ma sympathie. Aujourd’hui la mode est d’en parler très mal et même de leur imputer des responsabilités politiques graves: la victoire de Trump, par exemple, mais aussi la diffusion du Covid. C’est très ironique que justement les personnes qui croient que de groupes de puissants orientent les événements mondiaux soient accusées d’être elles-mêmes cette cause cachée — comme quoi, on répond au conspirationnisme avec un conspirationnisme moins créatif et moins coloré.

Ce que j’adore des théories du complot ce sont justement leurs deux principes de fonds, qui peuvent être résumés comme suit:

  1. Les pouvoirs ne recherchent pas le bien des communautés, mais leurs propres intérêts. Sur cette assomption, il me semble que les conspirationnistes montrent une grande intelligence et rationalité. Ce principe est presque banal: quel être rationnel pourrait croire que le pouvoir cherche autre chose que son propre intérêt?
  2. Tout ce qui arrive est réglé par une rationalité absolue: pour chaque évènement il y a une cause intentionnelle. Les conspirationnistes sont très rationnel.le.s. Rien n’est laissé au hasard, rien ne dérive de coïncidences, d’imprévus, de manque de contrôle, d’erreurs. C’est une idée tellement belle, qu’on aurait envie d’y croire. Par ailleurs, il y a des gens qui y ont cru — que l’on pense à la raison de l’Histoire hégelienne.

À ces deux principes s’ajoute un troisième, peut-être le seul farfelu: les puissant.e.s sont très intelligents, très rationnels et ils/elles ont une compréhension parfaite des rapports de causalités à l’œuvre dans le monde. Cette idée est la seule qui rende parfois les théories du complot ridicules.

Les complotistes ont raison de croire qu’une personne puissante — riche, politiquement bien placée, influente etc. — essayera toujours de faire ses intérêts, autant qu’elle en sera capable. Le problème est que ces personnes puissantes n’ont pas une compréhension du fonctionnement du monde plus fine que celle de n’importe qui d’autre. Elles feraient leurs intérêts, même au dépenses des autres, mais encore faudrait-il qu’elles en soient capables.

Il faut apprendre des conspirationnistes la méfiance envers le pouvoir, la méfiance envers les discours des médias qui sont toujours influencés — de façon plus ou moins consciente — par les grands pouvoirs. Il faut comprendre et prendre au sérieux leur envie de rationalité, car il est important au moins d’aspirer à la raison. Mais il faut faire attention à ne pas avoir trop d’estime pour les puissant.e.s.

C’est la raison pour laquelle, comme le dit Wikipédia, les causes sont multiples alors que les conspirationnistes cherchent une cause unitaire, simple et plus facilement compréhensible. Les intérêts des puissants sont là et orientent, tant qu’ils le peuvent, les évènements. Mais les intérêts sont complexes et se mélangent à d’autres causes qui ne sont souvent même pas connues par les différentes acteurs. Par hasard, sans rationalité aucune, suite à une conjoncture de causes, forces tendances, intérêts, les choses arrivent. L’histoire, nous dit Wikipédia, prend en compte la multiplicité des causes. Je dirais plutôt qu’elle devrait le faire. Et en tout cas il ne peut pas y avoir une histoire du présent. Le récit des évènements que nous vivons, sont donc dans les mains de médias dont les interprétations ne sont souvent pas plus “vraies” que celle des conspirationnistes: elles sont autant simplificatrices et autant pauvres, mais en plus elles subissent la pression des pouvoirs — économiques et politiques — et elles ne suscitent pas le doute sain. Je préfère finalement les récits conspirationnistes, plus sympathiques et plus rassurants dans leur rationalité naïve et optimiste qui nous apprennent au moins à douter qu’il y ait une vérité.

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