Ce qui pourrait être autrement: autorités à l'époque du virus
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J’ai écrit à propos de l’autorité “à l’époque du numérique”. J’ai souvent affirmé que l’“époque du numérique” est juste une expression pour dire “aujourd’hui”. Maintenant il semblerait que nous ne sommes plus à l’époque du numérique, mais plutôt à l’époque du covid. J’ai souvent dit que l’autorité ne disparaît pas “à l’époque du numérique”, mais elle se reconfigure. D’autres acteurs émergent et les formes d’autorité changent. Il n’y a pas de révolution, juste des changements progressifs, lents et qui rendent compte de tendances souvent hétérogènes et complexes. Il n’y a par ailleurs jamais une disparition soudaine des formes d’autorités connues: plutôt une hybridation progressive.
Qu’en est-il de l’autorité “à l’époque du covid”?
J’ai l’impression qu’un tendance qu’on avait identifiée comme dominante à partir de 2016 est en train de disparaître et d’être remplacée par une tendance opposée. 2016 aura été l’année de la post-vérité. On avait l’impression qu’à des formes très centralisée et uniques d’autorité (les États, les grands médias) se substituaient des formes multiples, fragmentaires et périphériques: on disait qu’un usager Facebook pouvait avoir plus de poids qu’un spécialiste interviewé par le New Yor Times. On criait à la perte de réalité, aux fake news etc. Umberto Eco disait qu’aujourd’hui un imbécile quelconque a le même droit de parole qu’un prix Nobel.
Cette rhétorique est trompeuse: les pouvoirs forts changent, peut-être, mais restaient là. Et même dans la reconfiguration des formes d’autorité, on retrouve des forces anciennes. Le covid nous a montré que ce grand changement n’avait pas finalement eu lieu et que les vieux pouvoir forts sont toujours en place: les grands médias portent un discours unitaire et difficilement contestable, les grands acteurs numériques s’alignent sur les discours des pouvoirs dominants. Le consensus sur la vérité ne semble jamais avoir été si fort. À la place des fake news nous avons à nouveau des vérités d’État. Les GAFAM deviennent des alliés puissants pour confirmer l’uniformisation du discours. La multiplicité des autorités aura été un phénomène passager et éphémère - ou peut-être même une courte illusion optique.
Yves Citton le disait récemment lors d’un séminaire: plus que se concentrer sur les fake news il faut se concentrer sur les modes de production de la vérité. Donner de l’importance à une information plutôt qu’à une autre est déjà un choix de production d’une vérité. Et aujourd’hui on ne parle que d’une chose, d’un risque, d’une statistique, d’une donnée - et d’une seule manière. Un discours unique, dont la globalité est aidée par les plateformes transnationales dont le pouvoir dépasse largement celui d’un État Nation. Celles et ceux qui voudraient exprimer d’autres opinions sont des conspirationnistes ou des imbéciles.
Malheureusement, la post-vérité n’est qu’une autre vérité unique.