Ce qui pourrait être autrement: anarchisme et philosophie
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Je me suis toujours demandé si ma recherche avait un rapport quelconque avec mon anarchisme. Le débat sur le rapport entre science et anarchie et la critique que Malatesta adresse à Kropotkin m’interpellent donc profondément.
Il est indéniable que la philosophie et la théorie en général - y compris la Science avec un S majuscule - sont des pratiques réservées aux riches. Aristote le disait déjà: pour philosopher, il faut avoir le ventre plein. Cela signifie que souvent les philosophies, les théories et la science sont le produit des pouvoirs forts. Et donc:
- Leurs interprétations du monde sont biaisées par la position depuis laquelle elles sont produites
- Il est très facile qu’elles soient utilisées pour justifier le pouvoir. Le risque est que les vérités scientifiques soient utilisées à des fins de pouvoir et qu’elles servent à la mise en place d’une pensée unique et consensuelle. Dans ces conditions: est-ce possible d’être anarchistes en étant professeur à l’Université? Probablement pas.
Mais encore, si on met entre parenthèse la position institutionnelle de la philosophie et de la théorie, est-ce qu’il y a des approches qui auraient des implications politiques plus proches de l’anarchisme? Malatesta a probablement raison a penser que non: peu importent nos croyances théoriques, l’anarchisme concerne les actions.
En même temps il me semble que certaines convictions théoriques ont un impact sur la possibilité d’être anarchiste. En premier lieu la question du rapport entre multiplicité et unité. Il me semble qu’une pensée anarchiste ne peut qu’être une pensée de la multiplicité. C’est une interprétation logique de l’origine étymologique du mot anarchie: arché signifie domination, commandement, pouvoir, mais cela signifie aussi, et d’abord, “principe”. Être anarchiste signifie donc refuser toute forme de pouvoir, mais aussi refuser l’idée d’un principe unique et unitaire. C’est par ailleurs aussi le sens qu’il faut donner au concept de pouvoir: les anarchistes ne sont pas naïf.ve.s au point de croire qu’il est possible d’avoir une société sans aucun pouvoir en place: mais elles et ils refusent un pouvoir central et transcendant, le pouvoir des États. C’est aussi ce qui caractérise la critique que Malatesta adresse à la Science. Le problème n’est pas l’approche scientifique, mais la Science unique dont la vérité et l’authenticité sont garantie par l’institution et finalement par un pouvoir central.
Il me semble donc que l’effort théorique de penser une multiplicité non réductible à l’unité est un pas vers une pensée anarchiste.