Ce qui pourrait être autrement: accès libre à l'UdeM
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L’Université de Montréal a finalement adopté une politique sur le libre accès aux publications savantes. Cette politique a été adoptée au début de l’année 2020, ce qui n’a pas contribué à sa visibilité, évidemment. On en a très peu parlé et très tard par rapport à sa mise en place (ici par exemple).
J’ai co-dirigé avec Vincent Larivière le groupe de travail qui a élaboré cette politique et, même si le document final diffère beaucoup de ce que nous avions proposé, les principes de fonds en ont été respectés.
Je voudrais souligner un aspect positif et deux défauts majeurs de l’approche retenue.
Le grand mérite de cette politique est de se baser sur le fait que l’Université retient des droits de diffusion sur les résultats de la recherche. Nous nous sommes inspirés pour cela de la politique - bien plus forte en fin de compte - de Harvard. Au lieu d’essayer de forcer les chercheur.e.s à mettre leurs travaux en accès libre, la politique se concentre sur l’effort de garantir le droit à la diffusion là où les chercheur.e.s l’entendent. Elle ne contraint donc en rien les chercheur.e.s - qui sont par ailleurs libres de se désengager -, mais elle constitue une protection de leurs travaux. L’Université, en fait, protège les droits que les auteur.rice.s ont sur leurs publications en conservant une licence de diffusion sur le dépôt institutionnel. Plutôt qu’une “loi” pour les chercheur.e.s, ou une règle à suivre, cette politique aide la communauté à protéger ses droits face aux éditeurs et à rendre plus visibles et plus accessibles les travaux de recherche. L’accès libre est donc ici traité comme un droit et non comme un devoir.
Concrètement ce type d’approche donne de meilleurs résultats que des politiques contraignantes pour les chercheur.e.s. Une étude du Berkman Klein center a démontré que les politiques qui exigent des chercheur.e.s le dépôt ont moins de succès que celles qui permettent aux chercheur.e.s de déposer sans y être contraint.
Passons maintenant aux défauts:
- La frilosité de l’UdeM à prendre la responsabilité de l’accès libre face aux éditeurs. En effet, l’Université ajoute dans sa politique:
“l’UdeM s’engage à ne pas mettre à disposition la Publication savante concernée durant une période maximale de 12 mois, lorsque ce report est exigé par l’éditeur de la Publication savante”.
Seule raison plausible de cette clause en faveur d’un embargo de 12 mois: l’UdeM a craint de restreindre les chercheur.e.s quant à leur possibilité de choisir le lieu de leurs publications. Or l’idée de fond de la politique repose sur le fait que l’UdeM conserve le droit de diffusion dans une archive institutionnelle ouverte: ces résultats peuvent donc être publiés dans n’importe quelle revue et grâce aux droits retenus par l’UdeM être ensuite aussi diffusés en accès libre sur le dépôt institutionnel. La possibilité de l’embargo de 12 mois mine donc le sens même de la politique. Pourtant l’UdeM aurait eu toute la légitimité d’exiger une licence de diffusion sans cette limite: rappelons que la recherche et ses résultats ne sont pas financés par les éditeurs, mais bien par des fonds d’autres origines, dont une bonne partie est publique. Par ailleurs, on voit mal comment une maison d’édition oserait bannir tous les chercheur.e.s d’une université comme l’UdeM pour la simple raison du non respect d’embargo. Les arguments récents des maisons d’édition sur la question de la version de référence (« version of record ») montrent bien dans quel sens vont actuellement les maisons d’édition. Hélas, notre administration n’a pas compris les enjeux, en particulier la nature des nouvelles inégalités qui peuvent découler de cette politique. Voulons-nous vraiment une connaissance accessible à deux vitesses: tout de suite, pour les institutions et les chercheur.e.s qui peuvent payer, et un an plus tard pour les autres? Je pense que cette clause – qui a été ajoutée je ne sais quand dans le processus d’approbation et n’était pas dans la proposition de notre groupe de travail – affaiblit profondément, et même dénature, cette politique. De plus, l’accès libre, après un an au plus, est déjà exigé par les organismes subventionnaires canadiens. L’UdeM s’aligne donc timidement sur les politiques des organismes canadiens de la recherche sans chercher à aller plus loin.
- La politique ne concerne que les articles et les chapitres de livre. Je me suis battu pour que les monographies soient incluses, sans succès. Ceci est grave en particulier pour l’ensemble des sciences humaines et sociales.
Cette politique est donc loin d’être parfaite et loin d’être un exemple à suivre: pour les défauts mentionnés, c’est - à mon avis - un échec total. Mais, comme le dit Vincent, malheureusement (c’est moi qui ajoute l’adverbe) “aucune université du pays n’a adopté une politique avec autant de mordant” (source). Le Canada est bien conservateur.
Pour arriver à ce timide résultat, il aura fallu un travail de plusieurs années et un nombre délirant de réunions. La résistance à l’accès libre demeure très forte, aussi chez les chercheur.e.s. Les enjeux ne sont pas compris… Est-ce que la crise sanitaire nous aura fait apprendre quelque chose, par exemple le fait que pouvoir accéder immédiatement, partout et gratuitement à la connaissance peut sauver des gens?
Dans tout ce processus, une note positive: je voudrais souligner le rôle fondamental des Bibliothèques de l’UdeM (je vais juste citer Richard Dumond - qui était directeur au moment de la rédaction de la politique - et Diane Sauvé, mais nombre d’autres bibliothécaires ont participé). Elles ont constamment oeuvré de façon vigoureuse pour que la politique soit la plus forte possible. Elles ont également mis à disposition nombreuses ressources et garanti un excellent soutien pour les chercheur.e.s (dont une foire aux questions). C’est sans doute grâce à la collaboration avec les bibliothèques que nous pourrons arriver à améliorer les choses dans le futur1.
Un énorme merci à Jean-Claude Guédon, un des champions de l’accès libre depuis la déclaration de Budapest, qui a gentiment relu et édité mon billet avant sa publication. ↩